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Le blé, ce citoyen du monde

Recherche / Le blé, la céréale la plus commune de France, a donné bien du mal aux généticiens décidés à percer ses secrets de fabrication. Il a fallu quinze années « de travail herculéen » au consortium international de séquençage du génome du blé, pour décrypter un Légo « cauchemardesque », finalement mis à nu en août dernier.

 

Le blé est la dernière des grandes céréales nourrissant l’humanité à avoir été décodée par les généticiens ; huit ans après le maïs et 16 ans après le riz. Derrière son aspect avenant, cette céréale détient un génome d’une rare complexité, cinq fois plus gros que le génome humain, 40 fois celui du riz. La recherche française (1,) qui occupe une position leader au sein du consortium, a largement contribué à identifier les 107 000 gènes de cet organisme géant. Les équipes internationales ont développé 4 millions de marqueurs qui vont permettre de s’y déplacer et de s’y retrouver. Des balises nécessaires car avec environ 17 milliards de paires de base, le blé détient l’un des génomes nucléaires les plus complexes du monde du vivant.

Intervenant à la rencontre annuelle du Gnis à Paris au printemps, Etienne Paux, a rappelé l’épopée de cette graminée cultivée depuis 10 000 ans. De son grenier du croissant fertile au Moyen Orient, Triticum aestivum a suivi les migrations humaines depuis le néolithique, vers l’Europe occidentale par la vallée du Danube. Il a aussi emprunté les routes de la soie jusqu’en Extrême Orient.

Cette longue histoire, empruntant des chemins multiples, lui a conféré une diversité phénotype -son aspect- qui n’en finit pas d’étonner les sélectionneurs. Ces derniers observent et notent ses caractères de port, d’allure, de barbe, de taille, d’ombrage… « Mais le phénotype, c’est la partie visible de l’iceberg. Comprendre l’organisation du génome ouvre la voie à la compréhension des bases moléculaires des phénotypes», rappelle le directeur de recherche à l’INRA.

A l’heure où dans certains milieux sociaux il devient délicat de parler d’hybridation, le blé à la base du « pain des Français » est en large partie un « étranger ». Un citoyen du monde, un produit de l’hybridation de trois espèces, qui n’a cessé de s’hybrider depuis cent siècles.

Les chercheurs osent à peine le dire mais la variété Courtot, valeur sûre entre toute du patrimoine de l’agriculture hexagonale créée par l’Inra en 1974, détiendrait son caractère de semi-nain d’une origine largement asiatique. La vérité c’est que Courtot contient un bon tiers de gènes… japonais et pas une paille, 190 méga base de matériel nippon, pure souche !

  1.  : Inra, Cnrs, CEA, Universités Clermont Fd, Evry, Paris-sud et Saclay)

 

Entretien

« Nous ne faisons que reproduire un mécanisme naturel ! »

Entretien avec Etienne Paux, directeur de recherche à l’Inra de Clermont Ferrand UMR Génétique, Diversité et Ecophysiologie des Céréales.

Propos recueillis par Ph G

Etienne Paux estime que le décryptage du génome est une ressource fournissant de précieux outils pour répondre aux défis de l’agriculture, puisqu’elle permettra d’identifier plus rapidement les gènes contrôlant des caractères d’intérêt agronomique.

Paradoxe de l’histoire, la carte des origines des variétés actuelles de blé montre une large diversité génétique, hormis pour l’origine asiatique. La génétique d’Extrême Orient a été délaissée par les sélectionneurs vers la fin du 19ème siècle. En perdant la diversité asiatique, le blé mondial a perdu la moitié de sa diversité originelle. C’est une perte irrémédiable ?

Etienne Paux : Pas tant que cela en fait. Le sélectionneur a regagné le patrimoine perdu en recréant une nouvelle diversité moderne par les croisements multiples des années soixante. Les chercheurs ont observé que les variations structurales du génome sont plus importantes dans les variétés contemporaines. Un vaste chantier s’ouvre, qui va mimer le travail de la nature. Mais mieux ciblé et plus rapide. 

Les sélectionneurs en France ou ailleurs vont s’employer à mettre au point des variétés résistantes aux stress, aux maladies, conquérantes de lumière pour contrer les adventices. Ces gènes, dans quelle partie du génome sont-ils situés ?

E. P. : Si les gènes impliqués dans les fonctions de base ont tendance à être logés dans les régions proximales du génome, difficiles d’accès, ceux liés à l’adaptation sont plutôt dans les régions distales, c’est-à-dire accessibles, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour les sélectionneurs. Les extrémités des chromosomes sont plus riches en gènes. Elles évoluent naturellement rapidement, expliquant la faculté d’adaptation des plantes à leur environnement.

A l’heure où certains crient à la manipulation génétique, quel peut être le discours d’un chercheur ? 

E. P. : Avec l’accès à la séquence, on va avoir une explosion de génotype de blés pour décrire un peu mieux l’espèce. Les méthodes actuelles ne sont pas les mieux adaptées. Mutagénèse ou édition de génomes permettent de produire des variétés moins allergènes, des blés plus digestes... Les technologies des génomes reproduisent des allèles qui sont déjà dans la nature.

La crainte entretenue par certains, ONG, médias, sur ces nouveaux outils vous semble irrationnelle ?

E. P. : Ces méthodes ne font que mimer ce que fait la nature par hasard depuis des millions d’années. Mais la nature est neutre alors que l’homme le fait de façon ciblée rapidement. S’en priver non seulement c’est dommage, mais la philosophie de la naturalité, c’est-à-dire l’apriori que tout ce qui vient de la nature est bon, remet en cause la notion de progrès.

Y-t-il une acceptabilité sociale de la rationalité. Comment imposer le fait scientifique cartésien dans un débat qui ne l’est pas ?

E. P. : La société réagit en émotion et par nature la foule n’est pas raisonnable alors qu’entreprises individuellement, les personnes ouvertes à la discussion admettent en général après explication qu’il y a peut-être du bon dans la recherche génétique. Les scientifiques ont laissé le terrain des idées à d’autres, c’est peut-être ça notre erreur.

  

 

Une star mondiale

Avec 220 millions d’hectares, le blé tendre (Triticum aestivum L.) est la céréale la plus cultivée dans le monde. Nourriture de base pour 30 % de la population mondiale, le blé est également, avec le riz, la céréale la plus consommée en alimentation humaine, fournissant en moyenne 20 % des besoins alimentaires journaliers moyens. Pour répondre à la demande alimentaire changeante d’une population mondiale grandissante et ce, dans des conditions environnementales et sociales durables, une augmentation annuelle des rendements du blé de l’ordre de 1,7% est nécessaire. Pour parvenir à cette augmentation, des progrès sans précédent depuis la Révolution Verte des années 60 doivent être réalisés conjointement au niveau de l’amélioration variétale et des pratiques agronomiques.

Fruit du travail de plus de 200 scientifiques issus de 73 instituts de recherche de 20 pays, la description et l’analyse de la séquence de référence annoncée par le Consortium international de séquençage du génome du blé (IWGSC) en janvier 2016, ont été publiée dans la revue Science le 17 août 2018.

L’étude des distances génétiques mesurées entre les 4600 blés mondiaux du projet « Investissements d’Avenir Breedwheat » a permis de tracer l’arbre phylogénétique. Celui-ci révèle 3 pools principaux de diversité pour le blé tendre.

Un pool d’Europe de l’Est et de la Méditerranée contenant 94%  des variétés locales (landraces) de SSE, MED et IBP, ainsi que 83 % des variétés traditionnelles et modernes ne provenant pas d’Europe du Nord-Ouest. Ce pool est le reflet des introductions successives de blé, d’abord par les premiers colons Espagnols et Portugais en Amérique Central et du Sud, puis par les Européens en Amérique du Nord, Canada, puis Australie, et enfin par les Centres Agronomiques Internationaux « de la révolution verte » -Cymmit (Mexique) et Icarda (Syrie).

            Un pool asiatique regroupant 94% des landraces asiatiques (SEA, INP, CAA et CAU) et seulement 7 % des variétés traditionnelles et modernes d’Asie, tandis que 71 % des variétés asiatiques modernes se trouvent dans le pool méditerranéen. Cela est en lien avec le fait que les récents programmes de sélection asiatiques se sont surtout basés sur du matériel génétique européen (et principalement italien) ; ainsi, la diversité des blés originaires d’Asie n’a que très peu contribué à la création de variétés modernes dans cette partie du monde.

            Un troisième pool d’Europe de l’Ouest contenant la plupart des variétés locales du Nord-Ouest Europe (NWE), de même que 76 % des variétés traditionnelles ou modernes issues des pays de cette zone. Ceci traduit bien le fait que les pays d’Europe du Nord-Ouest ont principalement utilisé les populations de pays de leur zone géographique pour créer de nouvelles variétés.

(source Inra)

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