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Des sangsues et des étangs

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la sangsue était très prisée par la médecine. Ce qui faisait les affaires des « pêcheux » de cette bestiole avant que le marché ne décline. Aujourd’hui, l’espèce est victime du réchauffement climatique.

La première moitié du XIXe siècle voit l’apogée de la sangsue médicinale. C’est à ce moment que le petit ver Hirudo medicinalis va remplacer la saignée, opération qui, sous l’Ancien Régime, se pratiquait à l’aide d’une lancette. C’est avec elle que, longtemps, l’on soigna la maladie, quelle qu’elle fut. D’ailleurs, les grands rois en leur cour, Louis XIV puis Louis XV, y eurent droit et même, étiquette obligeant, ils laissaient faire les médecins devant des courtisans qui, entassés dans la chambre royale, se croyaient au spectacle. Mais parfois maladroit, le geste pouvait s’avérer dangereux. 

LES ÉTANGS DE BRENNE, À L’HONNEUR 

Raison pour laquelle, peu à peu, on préféra la sangsue : on la plaçait sur la partie concernée, puis on attendait qu’elle fasse son travail de succion. C’est ainsi que durant quelques décennies, elle fut, par millions, engagée à l’hôpital et à la maison, bonne pour soigner toutes sortes de maux, des troubles mentaux à la tuberculose, de la variole à la gastrite ou à la pneumonie. A l’époque, les pays d’étangs étaient aux premières loges, grands fournisseurs de sangsues. Dans le département de l’Indre, la Brenne, bien évidemment, fut un réservoir recherché. On y voyait les « pêcheux d’sangsues », soit des paysans, des mendiants ou toute autre personne désireuse de gagner quelques sous, se rendre « dans les marais, les étangs, les fossés et les petits cours d’eau habités par ces annélides. Ils y entrent les jambes nues, ils s’emparent, avec la main ou avec un filet, des sangsues fixées aux corps solides ou qui nagent autour d’eux, ou bien ils attendent pour saisir ces animaux qu’ils viennent s’attacher à leurs jambes »* ; on y voyait aussi des chevaux et des ânes, de l’eau jusqu’aux jarrets, pour attirer le maximum de sangsues. Mais, à force de se balader dans les marais, ils finissaient par mourir, épuisés. 

UN TRAVAIL PÉNIBLE… 

Cette pêche ne fut jamais une partie de plaisir ! Avant de vendre ses sangsues au colporteur de passage ou au pharmacien qui les conservait ensuite dans des bocaux opaques, le « pêcheur » subissait les affres d’un travail à la fois pénible, dangereux et pas vraiment ragoûtant. Continuellement plongés dans des eaux putrides et fétides, ses membres inférieurs se cousaient de rhumatismes, se bardaient de parasites et de microbes propices aux fièvres « intermittentes » : bien connues en Brenne. Celles-ci, on le sait, faisaient promptement mourir ses habitants - à cette époque, l’espérance de vie y était voisine de 25 ans. Le « pêcheur » devait aussi subir le triste compagnonnage des cadavres des animaux précédemment évoqués. 

…MAIS UN COMMERCE AVANTAGEUX 

Pour autant, le travail était plutôt rentable puisqu’il donna lieu à de multiples formes de braconnage. Un braconnage que pratiquaient des individus pas toujours recommandables, lesquels, à l’occasion, pouvaient se montrer menaçants, comme en témoigne cette lettre du sous-préfet du Blanc, adressée à son supérieur hiérarchique (le préfet) dans laquelle il signale que « plusieurs individus étrangers à cet arrondissement se permettent de venir pêcher des sangsues dans les étangs de la Brenne ; ils ne se contentent pas de prendre ces sangsues sans l’autorisation des propriétaires mais encore ils se permettent, à ce qu’il paraît, des menaces et des violences pour se faire donner le logement ; d’autre fois, volant le poisson dont ils se nourrissent dans les cabarets… »**  Sangsues « volées » qui s’en allaient garnir la sacoche du colporteur ou l’étal du pharmacien, pas toujours regardants sur l’origine des bestioles… 

LA FIN D’UNE PRATIQUE 

Mais dès le milieu du XIXe siècle, ce commerce lucratif cessa. Pour plusieurs raisons : sous l’autorité du grand scientifique Louis Pasteur, on commença à s’aviser que, si elle permettait la saignée, la sangsue posait, à côté, d’autres problèmes de santé, parfois graves - notamment, des infections ; mais aussi les étangs, qui en la matière, n’étaient pas inépuisables, avaient été promptement vidés de leurs précieux vers : en 1850, ils étaient déjà littéralement nettoyés. Or, chacun sait qu’avec la pénurie d’un produit, se profile toujours sa cherté. Si bien qu’au début du XXe siècle, on ne trouvait guère que le barbier à l’utiliser pour soigner un œil au beurre noir. Au prix fort d’ailleurs. Anecdotique… 

UNE ESPÈCE RARE ET VULNÉRABLE 

Aujourd’hui, la sangsue médicinale n’est plus récoltée, mais seulement « élevée » dans des bassins dédiés. Elle est toujours aussi rare, quoique pour d’autres raisons, contemporaines celles-ci. Car elle souffre à la fois du changement climatique et du manque de nourriture : ne doit-elle pas, pour vivre, faire un repas de sang, sur la base d’animaux vivant dans l’eau ? Or, mammifères, batraciens ou amphibiens dont elle fait grand cas manquent désormais à l’appel ; sans parler des cadavres de chevaux et autres ânes hier volontairement jetés dans les eaux putrides mais aujourd’hui cela va sans dire, absolument interdits. De plus, les zones humides se raréfient. Si bien que, avec ses populations très clairsemées, y compris dans les étangs brennous, la sangsue f igure tristement sur la liste rouge mondiale des espèces menacées… Alors qu’il y a moins de deux siècles, elle approvisionnait par millions officines d’apothicaires et hôpitaux. 

* Alfred Moquin-Tandon, Monographie de la famille des hirudinées, 1827. 

** Lettre du 4 mai 1823 du souspréfet Lassalle au préfet de l’Indre

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