Explorateur d’hybrides
Un vigneron curieux tente de s’affranchir des voiles culturels qui ont imposé les cépages emblématiques pour s’aventurer sans oeillères et idées préconçues dans l’univers des hybrides résistants.

Vigneron cravantais, Fabien Demois observe avec intérêt la croissance des parcelles de cépages résistants plantés à la Tour St Gelin. Sur le plateau viticole historique de la commune richelaise, le il a d’entrée opté pour des hybrides allemands et suisses en raison du recul qu’ils offrent.
Actuellement, son petit vignoble résistant mildiou-oïdium comprend 90 ares de blancs et 60 ares de rouges. En 2022, ce vigneron, cultivant 26 ha de cabernet et chenin en AOP chinon, achèvera son projet en totalisant 2,80 ha composés pour moitié de cépages blancs – souvignier gris, muscaris, sauvignac et de cépage rouge – cabernet castis, Prior et une sélection massale de 5455.
Du côté de la résistance, l’expérience est plutôt réussie. En deuxième feuille, les vignes et les rares grappes présentes sont indemnes, au 20 juillet, d’attaques mildiou-oïdium malgré la quasi- absence de traitement et une forte pression des pathogènes. Le black rot est présent de façon sporadique. « Cette année, j’ai juste réalisé un passage cuivre avant la mi-juillet, mais dès l’an prochain je me conformerai aux préconisations : soit encadrement de la fleur, suivi d’un troisième passage en juillet », indique-t-il.
Une précaution indispensable, a fortiori avec les cépages à résistance monogénique (muscaris, cabernet cortis, prior) voire inconnue selon l’IFV, pour l’un des deux pathogènes. Les sélectionneurs avertissent en effet sur la possibilité de contournement à terme d’une résistance monogénique par les deux grandes maladies de la végétation. « Je vois avec intérêt l’arrivée des cépages Resdur mais quand en 2018 j’ai décidé de me lancer, j’ai retenu en priorité des cépages étrangers dont l’antériorité est ancienne. Les Allemands, les Suisses travaillent depuis une trentaine d’années sur les cépages résistants. On peut voir et goûter les vins de souvignier gris âgés de 15 ans Pour un vigneron c’est rassurant », poursuit le vigneron.
RÉDUIRE LES CHARGES TOUT EN ÉLARGISSANT SA GAMME
Fabien avoue aussi sa motivation principale, redécouvrir des pistes oubliées comme celles des cépages hybrides. « En tant que vigneron, on se doit de garder à l’esprit qu’après les ravages du phylloxera ce sont surtout des hybrides comme en 5455 qui ont fourni l’essentiel du vin aux Tourangeaux ». Il fait part de son attachement au 5455 : « notre génération peut repartir de là dans sa quête des solutions d’avenir. Les Français ont voulu les oublier alors que les Allemands et les Suisses, peut être culturellement plus libres que nous, les ont conservés dans leur panoplie. Or notre capacité à évoluer conditionne notre futur. Nous avons besoin de marge de manoeuvre pour produire avec moins de traitements, pour faire face aux maladies du bois, pour vendre aussi. Nous nous devons de porter le chinon en haut de notre pyramide, mais ça n’empêche nullement d’élargir sa base. Les Angevins pratiquent depuis longtemps cette stratégie de large gamme. Une gamme étendue est plus facile à placer auprès d’un caviste, d’une GMS ». Et pour lui, la jeune génération de consommateurs est très encline à bousculer les codes établis.
Pour l’instant, il estime n’avoir aucun dessein préconçu pour les cépages plantés. Purs ou assemblés, vin de France ou IGP… ? Tout est ouvert dans le respect de la réglementation, le muscaris, comme son nom l’indique, pouvant donner « un excellent jus de raisin ». Fabien Demois explique avec conviction qu’un souvignac offre une base intéressante pour travailler des vins orange de type mauzac grâce à la macération des baies comme à Gaillac et Limoux. « L’épaisseur, l’élasticité des baies confèrent aussi une résistance appréciable à la pourriture. J’ai goûté l’an dernier de ces raisins peu juteux à la peau élastique, ils étaient encore sains et bons au 15 novembre ».
En bon chef d’entreprise, il vise aussi l’économie de temps en retenant des cépages sélectionnés pour leur port dressé. Au-delà de la simplification du palissage, celui-ci se prête en effet à la taille rase type cordon de Royat. Le vigneron estime qu’une taille mécanique systématisée sur du bois de l’année évite, outre l’économie de main d’oeuvre, la pénétration des champignons responsables de l’esca. Son chantier est ouvert. Il en attend les conclusions avec gourmandise, adaptant la stratégie de survie que tous les paysans du monde ont pratiqué depuis des lustres : cultiver la tradition par sécurité, observer et peut-être adopter le progrès, mais aussi expérimenter par soi-même.