De Milan à Loches
Sforza, de la Renaissance à la déchéance
Sous la septième dalle avant l’autel de la collégiale St Ours, reposerait la dépouille de Ludovic Sforza. En attendant le résultat des fouilles en cours, le Château royal de Loches consacre une exposition à ce mécène de Vinci, traînant une réputation sulfureuse.


Méconnu en Touraine, Ludovic Sforza figure pourtant comme l’un de ses plus fameux prisonniers. Mort au cachot du donjon de Loches en 1508, sa personnalité ambiguë apparaît en filigrane dans l’ombre de Léonard de Vinci. Cinq siècles auparavant, c’est plutôt Léonard le florentin qui se glisse sous l’aile de ce puissant.
Ludovic Sforza règne alors sans partage sur le duché de Milan. Cadet d’une fratrie, il se hisse au sommet du pouvoir, aidé… par la Providence. Son frère aîné, Milan Galeazzo, meurt assassiné. Le second frère, nommé tuteur de son héritier de neveu, succombe… empoisonné. Quant au jeune futur Duc, il disparaît mystérieusement dans le sillage de son tuteur… Sforza, inquiet, soupçonneux, ventile, disperse… mais il aime la puissance, les arts, les fêtes. Aussi le voilà-t-il séduit par le curriculum vitae du jeune Vinci.
Vinci sous l’aile de Sforza
En cette fin du 15ème siècle qui voit l’Occident sortir du Moyen âge, Léonard étouffe à Florence. La ville de Michel-Ange et du Caravage où vient de naître la Renaissance regorge de talents, la concurrence est rude, même pour les génies qui réussissent en tout. Comme ses pairs, Vinci peint, sculpte, dessine mais il cultive un plus : son inventivité en génie civil et militaire semble sans limite.
Ce Pic de la Mirandole tente donc d’intéresser Sforza avec ses qualités d’ingénierie. Il se fait fort d’irriguer les champs, de saper les châteaux forts, de mitrailler à 360°, d’avancer blindé… et le grand Ludovic l’embauche en 1482.
Léonard restera vingt ans au service de Sforza, durant lesquels il se passionne pour les mathématiques, la mécanique, l’anatomie. A Milan, il est architecte, urbaniste. Mais foin de plans pour Mars, le Duc lui confie le soin d’organiser ses fêtes et lui commande une Cène, longtemps considérée comme le chef d’oeuvre de Vinci avant la Joconde. Si l’Ultime repas peint pour Sforza est resté à la postérité, le Duc a dû se mordre les doigts de ne pas lui avoir confié la modernisation de son armée de mercenaires quand celle de Louis XII l’assiège.
La furia francese à l’assaut de Milan
Jadis allié de Charles VIII, père de son agresseur, Sforza s’est mis à dos la noblesse italienne. Et pas grand monde ne vient à son secours quand la furia francese met au pas une à une les cités lombardes. L’artillerie bombarde ; batardes, couleuvrines et fauconneaux abattent les remparts de Milan. Le nouveau roi de France, Louis XII, exècre l’imposteur Sforza et revendique le Duché de Milan. Sforza fuit sa ville, battu en 1499, l’année où Vinci le quitte.
Après un bref baroud d’honneur, son destin bascule à Novare, où « le More » est pris déguisé en cordelier. Une semaine plus tard, le Milanais vaincu chemine vers sa captivité. Louis XII donne l’ordre de l’humilier quand il traverse Lyon juché à l’envers sur une mule. Si le roi lui laisse la vie sauve, les miniaturistes sont invités à défaire la magnificence du duc déchu. Leurs dessins l’affublent de tous les maux. Louis XII refuse les 500 000 ducats de rançon proposé pour sa libération par l’empereur Maximilien et le fait enfermer au Lys St Georges (Indre).
Après une tentative d’évasion, il est conduit à la tour du Martelet, le donjon de Loches. On lui octroie une grande cellule avec cheminée. Durant ses quatre années de captivité, dépouillé, il fait pénitence mais s’autorise comme décor une grande peinture encore visible aujourd’hui.
Le 17 mai 1508, Ludovic Sforza, Duc de Milan, rend son dernier souffle à 57 ans en paria. Il ne pouvait deviner que onze ans plus tard, à 10 lieues de là, Léonard de Vinci quitterait lui aussi les hommes mais en génie vénéré par un nouveau roi, François 1er.
Exposition « Sforza, un mécène au cachot » du 6 avril au 22 septembre 2019 au logis